mardi 2 octobre 2012

Les "Matin Magique" de Marie Pier...


Bon matin les magiques!
J’espère que vous allez bien. C’est bon de vous retrouver… :-)

Matin Magique a fait relâche la semaine dernière, comme vous l’avez peut-être remarqué. Voici ce que l’expérience des derniers jours (de la dernière année, en fait) m’a inspiré…

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«Ce n’est pas l’esprit qui est dans le corps, c’est l’esprit qui contient le corps et qui l’enveloppe tout entier.»
– Paul Claudel 


J’ai passé une partie de la semaine dernière en pleine nature, avec ma famille, pour y disperser les cendres du corps de ma mère. Nous avons fait notre petit rituel sur un grand lac bordé de montagnes – un endroit que ma mère aurait certainement beaucoup aimé. C’était une journée brumeuse et enveloppante, comme vous pouvez le constater sur la photo… Il y avait beaucoup d’amour dans l’air, et tout s’est bien passé.

Je pense beaucoup au corps de ma mère, depuis qu’elle l’a quitté. En fait, j’y pense énormément depuis le début de la maladie. Et maintenant qu’il n’est plus qu’un souvenir, je prends conscience de certaines barrières qu’il a emportées avec lui…
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Ma mère est passée de son centre sportif à l’hôpital en l’espace de seulement quelques semaines, lorsque le cancer a commencé à se manifester. Elle est devenue rapidement très faible, incapable de marcher, et elle avait toujours à ses côtés le fameux poteau en métal qui porte les divers solutés. Je la poussais parfois dans son fauteuil roulant, et elle tenait son poteau comme les malades qu’on voit dans les téléromans. Non, ça ne pouvait pas être ma mère… ma mère de 66 ans, jeune de corps, de cœur et d’esprit, débordante de vie. La voir tenir le fameux poteau était surnaturel.

C’est là que j’ai commencé à penser à son corps. C’est là que j’ai commencé à penser à son corps comme à un corps, je veux dire. Jusqu’à ce jour, il avait toujours été «maman», pour moi… Mais à partir de ce moment, il est devenu graduellement «le corps de ma maman». C’est la version vers laquelle je me ramenais constamment.

Ainsi, chaque fois que je voyais le cathéter installé sur son bras – un autre symbole douloureux, pour moi – je me rappelais qu’il ne s’agissait que d’un bras, non pas de ma mère en soi. Lorsqu’elle avait peu d’énergie, je me répétais qu’elle n’était pas cette faiblesse, qu’il ne s’agissait que d’un état physique temporaire. Quoi qu’il arrivait, j’essayais de rester branchée à l'essence de ma mère – non pas le véhicule, mais la passagère. D’ailleurs, vous avez probablement remarqué que j’ai presque toujours écrit ici «le corps de ma mère est malade» ou «le corps de ma mère prend du mieux», plutôt que «ma mère est malade» ou «ma mère prend du mieux».

Quand ma mère est partie, cet été, j’étais donc beaucoup plus prête à vivre la transition. Dès la seconde où elle a quitté son corps, il est devenu «le corps», pour moi… Il n’était plus «maman», mais un vieux vêtement, et je ne regardais plus dans sa direction lorsque je m’adressais à elle intérieurement. Ça me faisait tout drôle, d’ailleurs, quand des membres de la famille disaient «elle est belle» aux funérailles (en faisant référence à ce qu’ils voyaient dans le cercueil). Même chose quand j’entendais des phrases comme «elle va être incinérée juste après le service». Je comprenais très bien le sens, mais l'idée que ma mère puisse être incinérée me semblait presque humoristique.

Ce changement de perspective fut incroyablement important pour moi – et probablement pour ma mère, aussi, car cela m’a permis d’être sur la même longueur d’onde qu’elle pendant la maladie. J’étais affectée par la situation malgré tout, bien sûr… Son corps n’était peut-être qu’un véhicule, mais sans lui, notre relation allait changer drastiquement. Et même si la maladie n’avait pas mené à son départ, voir ma mère vivre des inconforts était immensément difficile pour moi. Cela dit, je sais que ma douleur était moins dense qu’elle l’aurait été sans cet ajustement. Et le deuil est beaucoup plus doux, aussi… car je fais davantage le deuil d’un corps que celui de ma mère, présentement.
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On est à peu près tous d’accord sur le fait que nous sommes des êtres éternels de passage ici. Or, bien que nous ayons une conception très sophistiquée du sens de la vie et de notre vraie nature, la réalité est que nous prenons nos véhicules terrestres encore tellement, mais tellement au sérieux. Il y a, bien sûr, notre fascination collective pour la beauté… On la perd, et on a l’impression de perdre une partie de notre valeur et de notre identité. Mais plus généralement, il y a notre attachement à la forme, aux enveloppes physiques dans lesquelles nous sommes nés.

On veut prendre notre corps très au sérieux, bien sûr, lorsqu’il est beau et en santé. Comment résister à la tentation de s’identifier à notre magnifique chevelure, à notre vitalité, à nos petits muscles durement gagnés, aux jolis attributs que la nature nous a donnés? Le hic est que si on s’identifie à lui lorsqu’il est en bon état, on continuera de le faire lorsqu’il commencera à se détériorer. Oh, et même s’il restait en parfaite condition pour le reste de nos jours – c’est certainement la vision que je cultive pour vous et pour moi, car on peut mourir vieux et en santé – on vivrait dans le cadre étroit d’une vision de nous limitée. On ne peut que se sentir petit et vulnérable lorsqu’on s’identifie à un corps qui est fondamentalement petit et vulnérable.
(Parlant de «petit et vulnérable»… vous pouvez voir à gauche une autre photo prise le jour où nous avons dispersé les cendres. N’ai-je pas l’air minuscule, à côté de mon neveu Philippe? Il mesure 6 pieds 6 pouces – environ deux mètres –, et le simple fait d’être à ses côtés est en soi un acte d’humilité… ;-)…)

Ma mère a passé la dernière année de sa vie dans un corps affaibli qui ne lui ressemblait plus du tout. Ma sœur Renée (la mère de Philippe, justement) a pris beaucoup de poids très rapidement à cause d’une condition médicale, et elle vit depuis plusieurs années dans un corps rond qui ne reflète pas son être profond. Plusieurs d’entre nous sont ou seront confrontés à de telles situations… coincés dans un corps qui ne nous ressemble pas. Mais quand on y pense, la belle et douce vérité est qu’absolument personne ne ressemble à son corps, quel que soit son état. Personne ne ressemble à deux jambes, deux bras – que ces derniers soient malades ou en santé, courts ou longs, minces ou enveloppés.

Évidemment, ce n’est pas dire que le corps n’est pas important du tout, ou qu’il est malsain de s’amuser à le mettre en valeur. C’est juste qu’il est peut-être temps de faire un choix : soit on se voit comme un être vaste et immortel, soit on se voit comme un amas de cellules. Et la version qu’on choisit est celle que l’on vivra. Si on s’ouvre à ce qui transcende la matière, on le percevra au fil du temps. Et si on s’y ferme… bien, on sera fermé, naturellement. Car il est difficile de sentir notre grandeur et notre immortalité – ou celle des autres – lorsqu’on a le regard constamment fixé sur des enveloppes corporelles. Il est difficile de sentir la présence bien réelle de notre mère décédée lorsqu’on regarde un corps inhabité, ou un tas de cendres, et qu’on pense «maman».

Oh, on peut attendre de perdre notre beauté ou d’avoir un poteau en main pour se rencontrer au-delà de notre coquille. Nous sommes nombreux à attendre de ne pas avoir le choix pour le faire… On ne veut pas renoncer à cette partie de notre identité, aussi fragile soit-elle, lorsqu’elle a encore un peu de valorisation à nous apporter. Mais si on pouvait faire le deuil de cette valorisation superficielle avant d’y être obligé, on découvrirait beaucoup plus tôt une des plus grandes formes d’amour et de liberté.

Imaginez un monde dans lequel nous dirions tous «mon corps est beau» ou «mon corps n’est pas joli» plutôt que «je suis beau» ou «je ne suis pas jolie». Ou «mon corps est vieux»… «mon corps est malade»… «mon corps est en train de s’éteindre». On pourrait même pousser l’audace à dire «le corps» plutôt que «mon corps» – car après tout, il appartient à la Terre, non pas à nous… S’il nous appartenait, il aurait toujours la même volonté que nous. Mais bref, quels que soient les mots que l’on choisit, on peut commencer à regarder un peu plus attentivement ce que nos yeux ne voient pas. Peut-être découvrirons-nous ainsi la partie de nous magique et sacrée que rien ne peut toucher… Peut-être comprendrons-nous enfin que nous sommes et serons éternellement beaucoup plus beaux, jeunes et en santé que ce corps ne l’aura jamais été.

Passez une belle journée! :-)
Marie-Pier